L’austérité, la destruction du système de santé et l’urgence d’un moratoire sur la dette

Publié: Mai 3, 2015 dans Articles / Press / Grèce

source /par Charles-André Udry

Une réunion du Red Network se tenait à Athènes, le 4 avril 2015. Un des trois ateliers réunissait quelque 100 personnes actives à divers degrés dans le secteur de la santé : médecins, infirmières et infirmiers, ambulanciers, responsables de pharmacies hospitalières, nettoyeuses, membres de comités locaux ayant empêché la fermeture d’une structure de soins primaires, un des médecins responsables du dispensaire social d’Hellinikon.

La discussion combinait témoignages, analyses et initiatives à prendre. Un fil rouge conduisait toutes les interventions : il ne faut plus attendre les résultats des négociations permanentes et médiatisées du gouvernement, elles plongent la population dans une attitude passive ; il faut construire des initiatives assurant la jonction entre les soignants, la population, la structure syndicale influencée par Syriza (META) et les membres et sympathisants de Syriza. Étant donné le délabrement massif et continu du système de santé, un mot d’ordre doit être développé : refus immédiat de payer les intérêts de la dette et des remboursements présentés comme incontournables, et consacrer ces fonds immédiatement à la santé.

La décision du gouvernement Tsipras de supprimer le ticket modérateur de 5 euros est en grande partie illusoire, car les sommes représentées par 1 euro à charge des malades lors de l’achat de médicaments sont beaucoup plus importantes. Dans les interventions des soignants, un premier fait ressortait : la très large majorité des responsables du système de santé et des hôpitaux n’ont pas été changés. L’appareil bureaucratique et clientélaire de la Nouvelle Démocratie et du Pasok reste en place. Les ministres peuvent toujours faire des déclarations – ils en font tous les jours et dans tous les sens – le changement d’une structure dépend d’un véritable plan et d’une mobilisation sociale. Aucun modèle nouveau de contrôle effectif des hôpitaux n’a été mis en place. Le gouvernement, cela va de soi, ne soutient aucune mobilisation. L’acceptation des dites contraintes européennes forme le corset qui tient ensemble des individualités différentes de ce gouvernement, qui jouent leur carte, parfois conforme à leurs convictions. Ce qui contribue à créer des illusions chez des observateurs concernant les effets possibles des dites contradictions internes. On a connu les mêmes illusions à l’occasion du premier gouvernement dit « en dispute » de Lula en 2003, même si la structure gouvernementale du PT était plus solide.

La direction de Syriza dans sa majorité formelle peut faire une déclaration, mais elle ne prend aucune initiative qui mettrait en relation les questions cruciales du système de santé et le paiement de la dette. Or l’urgence sociale commence à être utilisée – certes pour l’instant de manière propagandiste – par la droite, qui indique que le gouvernement non seulement ne tient pas ses promesses, mais laisse la situation se détériorer.

À l’opposé, toutes les expériences d’assemblées ouvertes des structures locales de Syriza montrent l’intérêt et la disponibilité de la population pour rouvrir une structure de soins primaires, pour empêcher une fermeture d’hôpital, pour accroître le nombre de médecins, pour créer les conditions d’un retour des médecins qui vivent leur expatriation comme une déportation. Les témoignages indiquant que dans tel service le nombre de médecins a passé de 12 à 4, celui des infirmières de 10 à 2 tombaient l’un après l’autre. Une enquête va d’ailleurs être publiée concernant la situation des principaux hôpitaux de la région d’Athènes et des structures de soins primaires. Un neurochirurgien ayant travaillé dans les deux principaux hôpitaux a décrit l’explosion des maladies nosocomiales (infection contractée dans un établissement de santé) et a indiqué les effets sur le long terme (deux, trois générations) de la situation présente. Il a été conforté par l’intervention d’une pédiatre.

Les débats sur la dette illégitime et ses origines sont certes fort importants. Mais la question se pose avec une autre temporalité humaine : aujourd’hui, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes de Grèce et de migrant-e-s crèvent de faim, sont malades, et ne sont pas soignés. La réponse ne peut pas être celle du gouvernement qui consacre 300 millions d’euros à des mesures dites humanitaires (rétablir l’électricité, distribuer des tickets d’alimentation), dans le style des filets de sécurité de la Banque mondiale, au moment même où il vient de faire voter une dépense de 500 millions d’euros pour rénover la flotte aérienne anti-sous-marins, sous l’impulsion de son ministre de la Défense.

Certes, ce ministre, Panos Kammenos, des Grecs indépendants, ne s’est pas limité à cette seule tâche, prioritaire pour lui. Il était présent, le 4 avril, lors de présentation de la mise en place d’un comité d’audit sur la dette. Une initiative qui mérite tout l’intérêt. D’ailleurs, le président de la République, Prokópis Pavlópoulos, en a souligné l’importance. Il en attend les résultats dans plusieurs mois. Prokópis Pavlópoulos, vu ses états de service dans la Nouvelle Démocratie et divers gouvernements en particulier de 2004 à 2009, est au courant de l’explosion de la dette dans les années 2000, comme l’a illustré l’article récent de Michel Husson |1|. Ce que se sont permis de rappeler, par pur opportunisme, des représentants de la Gauche démocratique (DIMAR), insistant sur la carrière du président durant la période d’endettement sous Karamanlis |2|.

Comme l’a souligné Antonis Ntavanellos dans un récent articl, pour la gauche effectivement radicale, face au bilan désastreux du gouvernement, les initiatives pour modifier au maximum le rapport de forces dans Syriza – ainsi que dans le mouvement syndical, au sein des secteurs militants – sont primordiales. Cela en vue d’échéances qui se présentent à court terme (juin 2015). Cette bataille pour modifier plus nettement les rapports de forces, en priorité dans Syriza, doit se conjuguer avec la mise en avant massive de revendications concrètes dont l’application n’est possible que dans la mesure où un moratoire sur le paiement des intérêts de la dette est décidé de suite. Les forces de gauche (de Syriza à Antarsya, y compris des membres du KKE sensibles à l’acuité de la crise sociale), qui veulent l’application immédiate du programme de Thessalonique, présenté au nom de Syriza par Tsipras le 14 septembre 2014 |3|, l’exprimaient sous de multiples formes lors de cette réunion du 4 avril où la radiographie du système de santé était en fait celle de la société grecque.

L’article basique de Dr. Louise Irvine, dont les données datent de fin 2014, donnait déjà l’alarme en janvier 2015. Elle n’était pas la première. The Lancet avait déjà effectué un véritable audit du système de santé en février 2014 |4|. Il traduisait les besoins de la population et donc les droits universels qui en découlent.


Source : Inprecor

Notes

|1| Michel Husson, « Grèce : pourquoi une dette à 100 % du PIB avant la crise ? » : http://alencontre.org/laune/grece-l… |2| Cf. I Efimerida Ton Sintakton (Quotidien des rédacteurs) du 6 avril 2015. |3| Ce discours a été reproduit dans Inprecor n° 612/613 de février-mars 2015. |4| Voir cet article

Auteur

Charles-André Udry 

Économiste, animateur des Éditions Page deux et de la revue politique en ligne À l’encontre (www.alencontre.org/), est membre du Mouvement pour le socialisme (Suisse). Cet article a été publié par À l’encontre le 9 avril 2015 : http://alencontre.org/

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